Interview\’Her – Avril : Camille Naude

Pour ce mois d'avril, nous avons échangé avec Camille Naude, fondatrice de l'agence 100% sport, "My Sport Agency" et de la "Women's French Cup".

 Bonjour Camille, merci tout d’abord. On va rentrer dans le vif du sujet de suite, vous avez monté My Sport Agency et aussi la Women french Cup, c’était durant la même année il me semble ?

CN : « Alors oui, My Sport Agency, c’était en 2016 et le tournoi, la première édition était en 2017 oui. Mais effectivement c’était assez concomitant oui, la création de l’agence et du tournoi. »

Pour vous, les deux sont complémentaires ou vous avez monté l’agence et l’événement de manière totalement séparée ?

CN : »C’est quelque chose d’assez séparé, dans le processus de création du moins. Je ne me suis pas dit qu’en même temps que j’allais créer l’agence, j’allais créer le tournoi. C’est venu un peu sur le fait, je pense que ça faisait très longtemps je pensais au tournoi sans pouvoir le matérialiser. On va dire que l’agence a été un très bon moyen de pouvoir le concrétiser. Effectivement c’est l’agence qui a permis de réaliser toute la partie graphique, communication et communicante de l’événement. C’était plus facile d’avoir en interne des outils qui nous ont permis de créer un site internet, de créer l’annonciation de l’événement et ça tombait bien. »

D’où vous est venue l’idée de tout ça ? Les déclencheurs, les tenants, les aboutissants ?

CN : « Pour l’agence, je dirai que j’ai ressenti assez rapidement le besoin de créer ma propre boîte. Ce que je n’ai pas fait toute seule, parce que j’ai un associé, on était deux à la créer. Mais ce que j’avais fait seule auparavant, parce qu’en fait avant de créer My Sport Agency, j’avais déjà ma propre entreprise donc j’imagine que j’ai toujours eu cette volonté là au fond de moi, de créer quelque chose par moi-même et pour moi-même entre guillemets. Dons ça, c’est quelque chose que j’ai depuis toujours : la liberté, l’indépendance, la prise de risque.

Pour le tournoi, c’est un peu différent. Le tournoi c’est plus sur des considérations – même si au départ je ne réalisais pas vraiment – d’engagement sociétal on va dire, de promotion de ce sport-là, de sa discipline. Aussi de constats que tout le monde a pu faire sur la différence entre le sport masculin et féminin et du fait qu’on ait envie de donner autant de chance aux femmes qu’aux hommes de se préparer. C’est de se dire qu’il n’y a pas de raisons que des clubs professionnels féminins n’aient pas la même exposition médiatique que les masculins.

Donc on va dire que pour l’agence il y avait vraiment un engagement entrepreneurial qui est propre et qui m’appartient et pour le tournoi c’était aussi un engament sociétal. »

Vous avez aussi fait du football, vous en faîtes peut-être encore d’ailleurs ? Mais du coup, la WFC est venue peut-être de frustration, de ce que vous avez pu vivre sur le terrain ?

CN : « Alors je n’en fais plus, mais j’en ai fait 20 ans, oui. Après je n’ai jamais été joueuse professionnelle donc je n’ai jamais subi la frustration à ce point-là. Mais il n’empêche qu’à des niveaux semi-pros ou de hauts niveaux, il y avait déjà énormément de frustrations, de différences qui étaient faîtes au sein des clubs, même de petits et moyens clubs ou structure pro comme le TFC à l’époque. J’ai été formée là-bas, il y avait énormément de différences entre les garçons et les filles. Il y a des choses qui sont justifiées parfaitement parce qu’économiquement, ce n’est quand même pas le même monde, à un moment donné il faut aussi être réaliste. On ne peut pas comparer ce qui n’est pas comparable économiquement c’est certain. En revanche, il y a des clubs qui pourraient faire beaucoup plus avec, pas tant des moyens financiers, mais une simple question de volonté et qui ne le faisaient pas. Cela tout simplement parce qu’ils ne considéraient pas ce sport là comme une véritable discipline à part entière. Effectivement ça oui je l’ai subi donc ça fait partie d’une construction, d’un retour sur expérience. Après tant qu’on y est, on ne réalise pas toujours que c’est quand même flagrant, que c’est très discriminant et qu’il y a quand même beaucoup de choses à faire évoluer. C’est quand on prend un peu de recul et qu’on n’y est pas, qu’on le réalise. N’empêche que oui, c’est clair qu’en 20 ans de football, j’y ai laissé bien plus de temps, d’argent et d’énergie que j’aurai dû, c’est sûr. Mais bon après c’était pour du plaisir et c’était ça le but. Mais ça ne justifie pas tout. »

Oui bien sûr, ça reste quelque chose de compliqué. Je change un peu de sujet, je reviens sur votre agence, on est d’accord que vous faîtes la communication de sportifs ?

CN : « Oui, on a 3 volets. On est une agence spécialisée dans le sport donc vraiment une agence 100% sport et on travaille sur 3 axes effectivement : l’événementiel, la gestion d’image, la communication et l’information. Pour retenir les choses en fait, on travaille sur de la com’ à destination de clubs, de sportifs, de ligues et d’événements. On travaille sur la création d’événements sur de l’événementiel en B2B donc à destination d’entreprises, c’est-à-dire des séminaires, team building, journées d’insertion, toujours autour du sport.  On travaille aussi beaucoup sur de la formation, donc on fait des formations auprès d’associations sportives, de sportifs et d’intervenants dans le milieu du sport. »

D’accord, donc vous travaillez sur la gestion d’image d’un sportif, qui est un aspect primordial dans sa carrière. Est-ce que vous estimez que pour une femme c’est plus compliqué de tenir une image crédible et forte ?

CN : « Je dirais qu’effectivement l’axe de communication chez la femme, il va être primordial alors que chez l’homme c’est plus un détail. Du moins sur les stratégies qu’on décide, donc de contenus sur les réseaux sociaux. On a toujours tendance à se dire qu’il faut vraiment qu’elle est quelque chose à dire de censé pour communiquer alors que ça ne devrait pas. On devrait aussi pouvoir se dire que si elle veut communiquer sur sa paire de baskets ou sur la dernière montre qu’elle s’est achetée, elle aurait le droit mais on trouverait ça de suite très superficiel peut être trop. Malheureusement on est obligé de réfléchir différemment je pense quand on est une femme quand on communique, oui.

même femme dans le monde du sport, est ce que vous avez rencontré des réactions particulières ? Que ce soit de l’encouragement, des félicitations ou de la méfiance ? Des choses que vous avez peut-être eu plus de mal à réaliser en tant que femme, ou qu’on n’aurait peut-être pas fait à un homme ?

CN : « Eh bien moi je dirais que paradoxalement, j’ai eu beaucoup de chance dans mon parcours. J’ai vite compris qu’il fallait que je m’adapte à ce milieu, effectivement très masculin. Mais oui, je dirais que j’ai eu beaucoup de chance parce que j’ai bénéficié de l’aide de pas mal d’hommes dans mon parcours finalement, qui m’ont ouvert des portes à des moments où j’en avais besoin. Qui m’ont permis de me développer et qui m’ont encouragée même, beaucoup. Pas parce que j’étais une femme mais parce que ce je faisais, pour eux, avait du sens. Ce n’était pas de la pitié ou de se dire « C’est bien elle se bouge on va essayer de l’aider. », c’était vraiment « Ce qu’elle fait, c’est censé, j’ai envie de l’accompagner, de la soutenir. ». On va dire que moi j’ai plutôt eu à l’inverse beaucoup d’encouragements et de retours positifs d’hommes par rapport à ce que j’ai décidé d’entreprendre. Je ne sais pas si c’est de la chance ou une question de comportement, peut-être un peu des deux. »

Il n’y a pas que des matchos finalement 😉

CN : « Non pas du tout, oui. Pourtant on pourrait croire que dans le milieu du sport, rugby notamment, football, etc, c’est le cas. Mais non. Je dirai que ça a plutôt toujours été une force. Toujours, et on m’a toujours dit que ça en était une. Donc non je n’ai pas trop subi ça, je ne me suis jamais sentie pas à ma place parce-que j’étais une femme. Je ne me suis jamais sentie pas écoutée parce que j’étais une femme. Après je fais aussi tout pour ne pas me retrouver dans ce genre de situations là. Je n’ai pas encore eu l’expérience aussi d’être dans des réunions à très haut niveau pour pouvoir peut-être subir ce genre de choses-là. À mon niveau et à l’échelle de ma vie, je n’ai jamais eu aucunes barrières ou difficultés parce que j’étais une femme. Au contraire, je pense que ça m’a plutôt aidé à me distinguer. »

Eh bien justement, la femme dans le monde du sport s’est bien développée, on a de plus en plus de place, pour vous personnellement, quels ont été les leviers qui ont permis cette ascension et qui permettent aujourd’hui qu’on se fasse encore plus de place et les freins qui ont existés et qui peuvent subsister encore aujourd’hui ?

CN : « Bah je pense que les freins ils sont psychologiques avant tout, c’est une histoire de mentalité. Ce n’est que ça pour moi aujourd’hui, les freins ne sont pas ailleurs. C’est une histoire de peur et de mentalité, des 2. La peur, parce-que pour certains ça fait peut-être moins de chance d’avoir le job si la femme commence à être entendue et qu’on commence à donner une véritable chance aux femmes. Tant que ça restait de la discrimination positive, on n’était pas un danger parce qu’on ne risquait pas de piquer des places. Du moins, c’était quelque chose de contrôlé, d’un peu à la mode. Aujourd’hui, on s’aperçoit que c’est quand même autre chose, que les femmes revendiquent une véritable place, qu’on hésite beaucoup moins à les prendre et à aller les chercher. Maintenant quand il y a des discriminations, on ouvre notre bouche. Et à la fois dans les instances comme les ligues de football, les gens qui continuent de diriger, ce sont des hommes. La fédération française de football aussi, l’UEFA aussi. Quand on monte dans les instances, c’est toujours la même chose en fait parce qu’il y a toujours aussi peu de femmes représentées ou présentes.

Après je dirai qu’on a aussi notre part de responsabilités. Autour de moi par exemple, il y a finalement peu de femmes qui se sont saisies des opportunités qu’elles auraient pu aller chercher. Parce qu’elles manquaient de confiance, parce qu’on ne leur a pas ouvert les portes, ça je n’en sais rien. Mais des femmes qui étaient compétentes, qui avaient des choses à dire et qui auraient pu réussir, eh bien il n’y en a pas tant que ça. Ça d’ailleurs, je le regrette un peu. En tout cas je parle dans mon milieu à moi, dans le football notamment et je pense qu’on doit se prendre en main. Si on veut que les choses changent ça doit passer par nous aussi. Ça ne tombera pas du ciel. Et on doit demander aux hommes et on doit demander à cette société d’évoluer mais ça doit venir de nous et que de nous. Il ne faut pas attendre ça des autres. Donc tant que nous, on ne se prendra pas en main, tant qu’on ne décidera pas d’aller chercher des postes à responsabilités, ça ne changera pas c’est évident. Donc oui, ça doit venir de nous. Et après voilà effectivement c’est une question de mentalité, d’évolution de la société. Je ne sais pas c’est une question difficile mais les freins, je dirai que c’est d’abord nous. Après voilà, c’est facile de parler, je viens d’un milieu relativement aisé, j’ai une éducation, j’ai fait des études. Il n’y a pas d’autres barrières qui se sont mises dans mon parcours et je ne sais plus quel est le terme exact mais quand on a plusieurs freins, de plusieurs raisons, tout devient plus compliqué. C’est-à-dire que moi à part dire j’ai envie de faire ce que je veux faire, et j’irai pousser des portes, je n’avais pas de problèmes d’éducation, je n’avais pas de problèmes de bagages universitaires, pas de problèmes pour manger à la fin du mois donc forcément ça facilite aussi les choses et ça je veux vraiment le contextualiser. Quand on dit les femmes doivent se prendre en main, ça dépend du contexte, chacun peut faire ce qu’il peut. Mais je pense que le premier frein de la femme, c’est la femme elle-même. Soit par rapport à l’homme, soit entre nous aussi. Parce qu’on a été très longtemps dures entre nous. On était plus occupée à se rabaisser ou à faire en sorte que l’une ne prenne pas la place de l’autre qu’à s’entraider. Je généralise un peu, je stigmatise mais c’est vrai. Et je pense qu’un jour, et c’est en train de changer, les femmes se diront « Mais en fait, on représente la moitié de la population dans le monde, on est plus diplômée, on est plus brillantes statistiquement donc on peut. » C’est avéré, partout. Le jour où on commencera véritablement les unes les autres à s‘entraider, et on le voit, il y a de plus en plus de réseaux féminins, bien, pas bien, peu importe, tant qu’il y en a, c’est tant mieux. Je pense qu’on va vraiment vers une entraide et le jour où on sera vraiment bienveillantes les unes envers les autres et qu’on sera là pour s’assurer que l’une au moins d’entre nous ait une place, il y aura réellement une évolution.  Après face à ça il y a deux types de comportements masculins : de la peur, de dire « Bah en fait ouais elles sont là, elles sont déters, elles vont prendre des postes à responsabilités parce qu’elles auront le droit, parce qu’elles seront crédibles, parce qu’elles finiront par y arriver » et il y a le comportement de dire « Bienvenue », bienvenue parce qu’il n’y a pas de raisons en fait. Donc j’ai tendance à me dire que tant qu’on continuera de fermer les portes je continuerais d’essayer de les ouvrir et de ne pas baisser les bras.

Donc voilà en termes de freins c’est nous et le contexte aussi parce que vivre en France c’est quand même autre chose que vivre en Afghanistan où on n’a quand même pas les mêmes problématiques. Mais justement, je pense qu’on se doit d’autant plus, nous, d’essayer de porter notre parole et de changer les choses.\ »

Ok, super, personnellement je partage votre avis. Je finirai par une dernière question : pour vous par la suite, quels sont vos objectifs personnels, professionnels sur l’immédiat le long terme ? Vous voyez les choses comment pour votre agence pour votre événement ?

CN : « Bah disons que pour le l’événement cette année, comme pour tout le monde, ça va être une année spéciale. On n’a pas encore officiellement annulé, on attend le mois de mai pour prendre une décision finale mais quoi qu’il arrive, je pense que l’édition ne sera pas comme les autres. Soit ça sera à huit clos soit et bien on ne sait pas, on réfléchit. Mais à la fois c’est très intéressant parce qu’il faut vivre avec son temps. Cette épidémie a aussi rappelé un certain nombre de choses.  Puis nous ça nous a aussi prouvé qu’on était dans le vrai. On est sur un événement local avec des prestataires locaux, une organisation locale, un public local donc en fait on est vraiment sur quelque chose d’assez interne à part les équipes qu’on fait venir des 4 coins du monde mais le reste on essaie au maximum de faire ça ici sur notre territoire et je pense que ça a dû sens. Donc ‘avenir de ce tournoi je le vois plutôt bon, il faut qu’on passe cette année on verra comment et on verra les conséquences que ça peut avoir mais je pense qu’on est dans le vrai. Dans le sens où le sportif a un véritable besoin et aujourd’hui on a beaucoup de clubs qui toquent à la porte et qui veulent participer au tournoi donc ça, c’est super bon signe. On a des partenaires aussi qui sont de plus en plus engagés et au départ c’était des petits, en tout cas des locaux. Aujourd’hui on est sur du Airbus, Burger King, la parapharmacie Lafayette donc local mais quand même avec une envergure et une notoriété internationale. Donc on voit qu’il y a un attrait très intéressant des sponsors et que le foot féminin a encore ce message là qu’il peut transmettre de valeurs, de quelque chose de très positif, donc ça c’est hyper bien et c’est très intéressant pour nous.

Après avec l’agence, c’est un peu pareil. C’est quelque chose de difficile et de délicat parce qu’il ne faut pas brûler les étapes. À la fois, on a toujours envie de plus, c’est toujours une question de sacrifices et d’équilibre entre continuer de développer l’agence, d’intégrer sur du matériel, sur de l’humain.

Et à contrario continuer nous, quand je dis « nous », c’est « associés » de se sacrifier un petit peu. Jusqu’à quand ? Jusqu’à quel point ? À partir de quand on considère que ça fonctionne ou pas ? Ce sont des choses qui sont toujours difficiles donc c’est intéressant intellectuellement mais c’est parfois fatiguant et usant. Mais on est sur une année qui est bonne parce qu’on est passé de 2 au départ à 4 aujourd’hui. On travaille avec des clubs importants de la région, on travaille avec des sportifs. On a surtout cette conscience-là de bien travailler, de justement ne pas trop brûler les étapes, de ne pas nous prendre pour ce qu’on n’est pas mais à la fois d’être sûrs de nos forces. Ce qu’on fait, on essaie de le faire bien et on a la chance d’avoir des compétences en interne et des gens très compétents qui font bien leur travail. Puis le fait d’être à Toulouse finalement où il n’y a pas énormément d’agences qui travaillent que sur l’image propre des sportifs ou des clubs donc on a notre carte à jouer ici oui.  Communiquer pour un club et on le voit aujourd’hui c’est parfaitement différent qu’une grande entreprise ou autre. C’est vraiment très particulier, il y a des temps forts, des temps faibles, des moments où il faut faire vivre le digital et moins le match en lui-même. À la fois il faut savoir de quoi on parle aussi parce qu’il y a des codes à respecter, il y a des choses à dire, à ne pas dire donc oui j’imagine qu’en tant qu’expert de ces milieux-là, c’est un vrai plus pour nous. Mais il faut que nous puissions l’affirmer et qu’on continue de l’affirmer parce que je pense que jusqu’à présent on était trop timide. Certainement parce qu’on était jeune, parce qu’on était les « petits nouveaux » sur le marché. Aujourd’hui, il ne faut pas qu’on est peur de dire « On sait faire notre travail et on le fait bien ». Donc ça aussi c’est un positionnement à la fois professionnel et personnel de cheminement dans sa propre vie et de se dire « Ok ça fait 3, 4 ans que tu fais ton travail, à priori tu sais le faire donc assume-le quoi ».

Nous finirons sur ces mots très inspirants de Camille et la remercions une nouvelle fois d’avoir partagé une partie de son expérience avec nous.

Nous vous invitons à nous contacter si vous aussi vous voulez nous faire parvenir un témoignage en tant que sportive ou femme à responsabilité dans le sport & nous invitons bien sûr également les hommes se ralliant au progrès de cette cause à nous transmettre leur témoignage.

Nous vous remercions de nous avoir lu ! A bientôt pour de nouvelles interviews sur Sport\’her …

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